Interviews

Interview de Carine Chevrier (Fondatrice Sème et récolte – Marseille)

Carine Chevrier

Bonjour Chère Carine ! Ravi de te retrouver !

Bonjour Boris, j’adore l’idée d’associer le jardin à une journée « sans mon portable ».

Nous nous sommes rencontrés lors d’un événement récent des DCF du Var (Dirigeants Commerciaux de France).  Avant de rentrer dans le vif du sujet, tu nous parles de toi, de ton parcours ?

Pas facile de parler de soi. J’ai eu la chance de vivre au milieu des plantes depuis petite.

J’ai grandi en banlieue parisienne dans une petite maison mitoyenne. Mon père a réussi le challenge de créer un véritable espace de biodiversité et de couleurs sur quelques mètres carrés de jardin. Cela m’a sûrement influencé. 

J’ai également conservé le souvenir d’une lecture, « Mes plus belles histoires de plantes » de Jean-marie Pelt. J’ai adoré et recommande ce livre. Il m’a révélé combien la nature et les plantes pouvaient être fascinantes. J’ai gardé en mémoire un passage expliquant que la passiflore imite les œufs de ‘son’ papillon ravageur pour éviter que ces derniers viennent pondre sur ces feuilles (celui-ci ne pond pas sur des feuilles déjà occupées par ses congénères) !

Je me suis orientée vers des études d’agronomie et j’ai eu le plaisir de travailler en exploitation laitière et en station d’expérimentation maraîchère où j’ai planté des choux (comme dans la chanson). Travailler au grand air et avec la nature : une belle expérience, simple et enrichissante, que j’invite à vivre.

J’ai ensuite démarré ma carrière en bureau pour aider au développement de l’horticulture bretonne. A force de côtoyer les horticulteurs, j’ai décidé de  tenter l’aventure : j’ai monté mon projet d’installation en pépinière pendant un an. Clématites, Grevillea, Pittosporum, voici quelques-unes des plantes que j’aurais aimé produire. Si je n’ai pas pu m’installer, j’en ai gardé l’envie d’entreprendre. 

Pendant ma période entreprenariat, j’ai mis un pied au sein de l’association ‘Jeune chambre économique française’. Je m’y suis investie pendant 10 ans. L’objet est à la fois d’initier des projets pour créer des changements positifs sur notre territoire tout en nous donnant l’occasion d’agir et de prendre des responsabilités. Chaque année un nouveau projet et une occasion de m’intéresser à une autre facette de la vie locale. Après une étude prospective sur la ‘ville de demain’, j’ai eu envie de me pencher sur deux thèmes qui me tiennent à cœur : l’économie circulaire et l’agriculture urbaine.  

2015, la Jeune chambre économique m’a donné l’occasion de créer le 1er forum de l’économie circulaire dans le Var pendant lequel nous avons réuni plus de 100 dirigeants. Une approche cohérente en mimétisme à la nature: la nature s’approvisionne en local et ne produit pas de déchet. Je reste aujourd’hui engagée pour avancer vers une gestion des ressources de la planète plus circulaire notamment au sein de l’association Var Économie Circulaire. Le changement de modèle demande à poser un autre regard sur notre modèle de production et de consommation. C’est collectivement que nous irons pas à pas vers un modèle économique plus vertueux.

En parallèle, j’ai éprouvé le besoin de remettre les mains dans la terre. J’ai commencé par envahir mon balcon avec des fleurs puis des légumes. Grâce à de belles rencontres et du coaching, j’ai ouvert les yeux _ ou plutôt écoutée mon intuition_ et je me suis accordée le droit de rêver et d’exercer un métier qui me ressemble. J’ai donc replongé dans l’entreprenariat et créer ‘Sème et récolte’. 

J’ai rencontré de nombreux acteurs de l’agriculture urbaine : j’ai découvert un monde d’innovation en lien avec la terre et les valeurs de partage et de solidarité. J’ai démarré en créant un premier jardin partagé au pied de mon immeuble en mobilisant quelques voisins, avant d’accompagner des potagers d’entreprise (les community garden). Aujourd’hui je partage mon temps entre les potagers, la préparation et le développement de nouveaux projets : un équilibre qui me va bien et m’aide à lâcher mon portable 🙂

Je poursuis mes activités dans une démarche permacole : Observer, écouter et expérimenter sur le terrain pas à pas en prenant soin de moi et de mon entourage. 

Parle-nous de tes activités actuelles ? A qui t’adresses-tu ?

J’installe et j’anime des jardins partagés participatifs. Mon métier est de transformer des espaces (espaces verts souvent « stériles », terrasse, toiture, …) en potager qui soit un lieu de vie, de partage et de création. 

J’aménage et les jardiniers volontaires viennent ensuite mettre les mains dans la terre pour prendre une pause dans leur quotidien, respirer les odeurs et profiter des couleurs. Je transmets mes connaissances sur la vie du sol, le jardinage au naturel et c’est aussi l’occasion de faire des découvertes gustatives. Sais-tu que les fleurs de roquettes peuvent aussi venir agrémenter tes salades ?

A travers ces moments de partage au potager, je propose une connexion à la terre et invite chaque habitant à accroître la place de la nature en ville, une nature comestible autant que récréative et esthétique. En permaculture, chaque plante est choisie pour ses rôles divers et complémentaires. Par exemple la bourrache forme de jolies fleurs bleues comestibles qui apportent de la couleur tout en attirant les pollinisateurs.

Aujourd’hui je travaille principalement avec des entreprises. De mars à décembre, je viens sur site pour installer puis accompagner les salariés dans l’entretien de leur potager collaboratif. Je leur apporte mes conseils et leur fait découvrir les principes de la permaculture. Au-delà du jardin, mon rôle est aussi de leur faire ressentir les bienfaits d’une pause nature dans leur journée de travail : de prendre un temps pour soi. Jardiner c’est aussi prendre le temps de respirer, d’observer et de se questionner sur ce qui nous entourent. J’ajoute de temps à autres quelques outils de détente et de relaxation pour profiter pleinement du moment.

Je travaille aussi bien avec des grandes entreprises qui ont de l’espace qu’avec de petites PME pour lesquels j’interviens ponctuellement. Cette année, je développe une prestation pour réaliser des potagers sur toiture ou terrasse avec mon partenaire Noocity.

Et pour les entreprises qui ont envie de nature sans avoir la possibilité d’installer un potager, je crée des ateliers sur mesure comme la production de champignons sur marc de café, la création d’une tour de fraises ou encore sur la culture et les bienfaits des aromatiques.

A côté, j’accompagne les collectivités, associations de quartiers ou les organismes HLM dans le montage de projet et leur mise en œuvre pour essaimer les jardins partagés et autres projets d’agriculture urbaine : identification des besoins et des lieux potentiels, concertation pour définir un projet collectif, projet d’aménagement et accompagnement technique au démarrage. En ce moment, je travaille notamment sur un festival : les 48h de l’agriculture urbaine (www.les48h.fr).

Chaque projet est une aventure humaine et un challenge à relever. Ma mission est de faire germer des graines de l’agriculture urbaine, de connecter ville et nature pour plus d’harmonie et d’abondance. La nature est toujours une inspiration positive.

Mon message : Semer le plaisir, cultiver le vivre ensemble et récolter la joie de vivre et de créer.

De quelle réussite es-tu la plus fière dans le cadre de ces activités, et pourquoi ? 

Que ce soit au jardin partagé au pied de mon immeuble ou dans les entreprises que j’accompagne, je suis fière de me dire que j’apporte du positif et contribue à changer les idées reçues. 

Quand j’ai démarré mon premier jardin partagé à Toulon, nombreux sont ceux qui n’y croyaient pas. Ouvert au public, beaucoup était persuadé que les plantations seraient rapidement dégradées. Le constat : Les visiteurs sont très respectueux et prennent beaucoup de plaisir à profiter des fleurs et des légumes. Même si j’entends aujourd’hui encore des personnes me dire que l’espace public doit être entretenu par la mairie je fais de plus en plus d’adeptes qui participent à l’embellissement de leur quartier.

Sur ce jardin comme dans les entreprises, les personnes sont séduites par l’idée de jardiner leur environnement proche. S’accorder une pause quotidienne est cependant loin de nos habitudes : mon rôle est d’accompagner ce changement en douceur. Et avec le temps les jardiniers de la première heure sont rejoints par d’autres curieux. C’est alors un bonheur de voir les visages épanouis et détendus. 

Mon autre fierté est ce retour que j’ai reçu d’une jardinières :« je retiens de ce démarrage au jardin que tu ne jettes rien : chaque déchet est réutilisé dans le jardin. » En permaculture, l’un des principes est que tout déchet est une ressource inexploitée.  Je l’ai reçu comme un vrai compliment et une réussite pour aller vers un mode de vie plus sobre dans l’utilisation des ressources naturelles.

En quoi le fait de jardiner, cultiver et entretenir son jardin peut être une belle activité déconnectée ? 

Plutôt que déconnectée, je parlerai de connectée à la terre 😉

Tout d’abord, au jardin le temps n’est plus le même ! Il est facile d’oublier l’heure et de juste profiter des couleurs et des senteurs de la saison. J’aime m’y évader et surtout m’émerveiller. C’est un endroit qui invite à respirer _ peut-être parce que c’est une activité de grand air. 

Les scientifiques ont d’ailleurs prouvé que le fait d’être en contact avec la nature réduit la pression artérielle et le rythme cardiaque en 3 minutes. 

Le jardin vit au rythme des saisons. Il invite à la lenteur. Quand je sème, je dois être patiente avant de récolter. Le jardin n’a pas besoin de beaucoup de temps mais de régularité. Jardiner c’est se promener entre les légumes et observer la croissance des plantes, la présence d’insectes, les changements … C’est avant tout apprendre à regarder autour de nous et profiter de ce qui est.

Le jardin c’est aussi le partage : le partage d’expérience pour réussir ses récoltes, le partage des récoltes abondantes, le partage de photo des fleurs épanouies, le partage de déjeuner sur l’herbe…

Cultiver notre jardin nous oblige à être humble, curieux et à lâcher-prise.

Parle-nous de tes passions, de tes centres d’intérêt à part ton métier.

Je suis plus curieuse que passionnée. J’aime découvrir et expérimenter. Du coup, je reste à l’écoute de ce que la vie me propose en lien avec mes valeurs.

Le jardin me permet aussi cette curiosité que ce soit dans la créativité via le bricolage avec la fabrication d’une tour de fraises, via la peinture pour de belles étiquettes, ou le recyclage avec la réalisation de mini-totem ou encore les découvertes culinaires et notamment les recettes anti-gaspi.

Sinon je m’intéresse aux différentes techniques de pleine conscience et aux pratiques pour relier le corps et l’esprit. Je me laisse guider par mon intuition pour expérimenter d’autres champs du yoga aux tambours chamaniques. 

Et bien sûr, un fort centre d’intérêt ce sont mes enfants. Ils ont 8 et 10 ans. J’aimerais leur apprendre la pratique de la communication non violente et de l’écoute des émotions pour les aider à grandir avec la joie de vivre. Et, j’avoue, je lutte parfois avec les écrans !

Ton quotidien, ça ressemble à quoi ? Du temps pour toi ?

Pour être sûre d’avoir un peu de temps pour moi, je me lève un peu plus tôt. Ma journée commence aussi souvent que possible par une méditation matinale suivi par un tour sur le balcon. J’aime commencer mes journées par un bol d’air et j’en profite pour vérifier que mes plantations se portent bien (J’ai deux balcons qui sont « envahis » par des jardinières potagères et des semis au printemps). Je prends aussi le temps d’aller réveiller mes enfants par un grand câlin quand je travaille à la maison et les aide à bien démarrer leur journée.

Ensuite, mes journées alternent entre la préparation des animations, des lectures pour continuer à me former et les visites de potagers. Mon objectif est de partager sagement mon temps entre réflexion, formation et « faire ». Les jours dédiés au travail de bureau je m’efforce d’intégrer des pauses régulières. Pendant la saison des semis par exemple, je prends 10-15 minutes de détente toutes les heures pour semer quelques plants. Du coup ça me change les idées, me détends et avance les plantations de la maison !

J’aime aussi intégrer des rendez-vous réseau pour maintenir les liens, créer des opportunités d’échanges et garder un esprit d’ouverture.

La Digital Detox, ça t’évoque quoi ?

Les outils numériques peuvent être très utiles pour s’informer, échanger, développer une activité. Malheureusement nous n’avons pas été formés à leur utilisation et nous passons des heures avec en nous éloignant parfois de notre objectif de départ et pire, des personnes qui nous entourent.

Au-delà de se détacher des écrans, la digital détox c’est pour moi une maîtrise des outils. Je décide en conscience pourquoi, quand et comment je les utilise. 

Si je te dis que mon métier c’est Coach en Digital Detox, tu penses quoi de mon métier précisément ? 

Si tu me proposes d’être mon coach en digital Detox, j’aimerais que tu m’amènes à prendre conscience des dérives dans l’utilisation des outils et m’aider à réguler leur utilisation. 

Un coach en Digital Detox doit pouvoir m’aider à vivre dans la joie et dans l’instant présent.

Quelle est la population la plus addict aux écrans selon toi, et pourquoi ? 

J’ai l’impression que nous sommes tous addicts : je vois aussi bien des ados accrochés à leur téléphone que des couples qui dînent au restos en pianotant toute la soirée. 

Ton portable à toi, c’est un ami, un ennemi ?

Un peu des deux ! Mon portable est un véritable ami pour rester en contact avec mes proches, immortaliser des moments magiques, identifier des plantes sauvages ou trouver des réponses sur les pratiques culturales. Et il peut-être un ennemi quand j’ai envie de me cacher derrière mon écran.

Il ressemble à quoi ?

J’ai un smartphone simple qui tient dans ma poche et avec un appareil photo qualitatif parce que c’est aujourd’hui un outil essentiel dans mon activité. Un peu cabossé à force de  rester dans ma poche pendant mes heures de jardinage.

A quel moment apprécies-tu le plus de le lâcher ?

Lorsque je suis en famille, que je prends le temps pour jouer avec mes enfants, j’aime que mon portable reste dans un coin et ne ressorte que pour servir de dictionnaire ou équivalent. Et j’avoue qu’il est souvent sur silencieux.

Ta recette à toi, pour ta déconnexion personnelle ? 

Pour rester connecter avec mes besoins et mes projets, je mélange les ingrédients suivants : la méditation pour me connecter à ma respiration et à mes aspirations, l’écriture pour prendre du recul et aller vers plus de lâcher-prise et le jardin bien-sûr qui m’apporte du pratique et de l’exercice.

Quels sont tes projets à court terme ? 

A court terme, je me concentre sur le développement de mon activité et la consolidation d’un partenariat avec la start-up Noocity. Nous installons les premiers potagers en toiture-terrasse. A Toulon et autour, il y a de nombreuses terrasses à végétaliser. 

En parallèle, j’aimerais trouver un espace urbain de 2 à 5000 m² pour créer une ferme-urbaine et pouvoir agrandir mon espace d’expérimentation.

A côté, je travaille sur la mise en place du festival des 48h de l’agriculture urbaine sur TPM.  Celui-ci me permet de communiquer sur mon métier, sur les enjeux de la végétalisation urbaine et de l’alimentation. Nous discutons pour créer une vraie communauté d’acteurs et travailler en réseau.

Mon autre projet reste celui d’être présente pour voir grandir mes enfants et les aider à grandir dans l’écoute et la joie.

La dernière version de notre site sansmonportable.com recense « les trésors », les lieux notamment, hôtels, restaurants, endroits cachés où la déconnexion prend tout son sens. 

Tu en connais un à nous faire partager ici ?

Je travaille en ce moment avec l’auberge de la Tuillière à Carnoules. Vous pourrez sur un week-end profiter du grand air, écouter les oiseaux et marcher tout un après-midi sur les sentiers alentours. J’aime l’idée de me déconnecter en découvrant à chaque fois un logement différent : le domaine propose des hébergements insolites (cabane perché, bulles, bateau, …) à quelques kilomètres de Toulon. Tout est pensé pour le confort et le contact avec la nature. 

Et si vous vous y rendez, vous pourrez bientôt découvrir une diversité de potagers insolites ! 

Notre site te permettra aussi de te faire connaître…prête à ouvrir ton compte, créer ta fiche sur sansmonportable.com ?

C’est fait.

Et si nous imaginions un événement ensemble, une conférence, un séminaire, une action, à destination des parents, des familles, tu serais partante ?

Il va de soi que jardin et déconnexion _enfin connexion à la terre_ vont de paire. Alors oui, rendez-vous au début de l’automne ?

Si par bonheur tu voulais soutenir l’association, pour 1 an, tu trouveras ici pour 15€, le lien te permettant d’apporter ta contribution…

https://www.helloasso.com/associations/sans-mon-portable/adhesions/adhesion-a-l-association-sans-mon-portable-2020-2021

Avec plaisir.

A très bientôt chère Carine, donne de tes nouvelles !

A bientôt pour une belle journée en plein air.