Bonjour Dolores Fernandez ! C’est assez rare que nous donnions la parole à une psychanalyste, alors profitons-en ! Ravi de te retrouver !
Merci Boris, ravie aussi de te retrouver !
Raconte-nous ton parcours …
Très tôt dans mon adolescence, j’ai su que je voulais être psy …. alors psychologue, psychanalyste, c’était encore un peu flou. Alors très naturellement, je me suis dirigée vers des études de psychologie. Après l’obtention de mon diplôme, je savais que je ne savais pas ! J’avais la théorie mais pas la pratique en quelques sortes. J’ai donc travaillé dans d’autres domaines, parfois bien éloigné du soin et de la relation à l’autre. Notamment en publicité et en marketing. Pendant ce temps, j’ai commencé mon analyse personnelle. Mais assez vite, l’ambiance de travail dans ces domaines m’a interrogée. J’ai continué à travailler en marketing, mais pas au premier plan. J’ai travaillé comme free lance dans ces domaines et dans le même temps je continuais à me former. Et puis un jour, j’ai décidé à revenir dans le soin et la relation à l’autre.
Qu’est-ce qui te donne le plus de satisfaction dans ton métier ?
Psychanalyste c’est un métier d’une intranquilité rare ! Je ne parlerais pas de satisfaction.
L’analyse est un cadre dans lequel on vient chercher ce qu’on ne sait pas de la part de quelqu’un qui est supposé entendre. Cela avec un contrat qui va devenir le transfert, càd tout ce qu’on a subi comme épreuve, trauma, comme angoisse, mais aussi comme plaisir… cela va venir se projeter dans cette mutualité dans le cadre analytique. On y suspend deux choses : le jugement et le monde. Chaque analysant vient avec son histoire singulière.
C’est donc difficile de parler de satisfaction ….en tous les cas, parfois il se passe quelque chose en séance qui fait sens pour le patient et c’est cela qui est important. L’analyse est toujours singulière, personnelle. Il n’y a pas de généralité.
C’est comme si je me prépare à chaque fois que j’ouvre la porte et fait entre un patient à accueillir l’imprévu, l’inattendu. Ce qui surgit, ce qu’amère le patient, le couple, c’est ce qui doit surgir. Mais pour que tout puisse s’inviter il faut pouvoir l’accueillir. C’est ainsi que les journées de consultations ressemblent parfois à plusieurs vie en une avec des émotions, des révélations par et pour le patient lui-même…. il m’arrive d’assister à des prises de consciences parfois tellement précieuses ! Mais parfois, il y a de la tristesse, de la souffrance profonde. Malgré une immobilité de surface, ce que l’on vit au cabinet auprès des analysants est très dense et profond.
Je dirais que ma satisfaction est de me sentir à ma place.
Parle-nous de tes plus belles fiertés professionnelles.
Fierté est un grand mot ! Ce qui est venu dans une séance est très singulier et pour pouvoir rendre quelque chose de l’intensité, de l’effet sur la cure, sur le patient, d’un instant, d’une phrase, d’un mot suspendu est bien difficile à expliquer.
Avec chaque patient, adulte ou enfant ou couple, des moments lumineux, forts, intenses ne sont pas rares. C’est même souvent le cas !
Lorsqu’il a été convenu, la fin d’un travail est souvent chargé d’émotions. Les enfants disent les choses très simplement souvent mais qui touchent beaucoup. Ils savent aller à l’essentiel avec naturel.
Ces moments si vivants, si vrais, si importants pour l’analysant restent dans cet intime de la séance, de ce lieu devenu spécial pour lui. Cet intime doit rester dans cet espace-là, je ne peux donc pas en parler ici …. c’est une profession particulière dont on ne peut presque rien dire.
Etre au plus près de la souffrance et de la capacité de résiliance de l’être humain est très précieux. Cela donne un sens à mon travail.
Quels sont les autres centres d’intérêt, à part ton métier ?
Piano que je pratique depuis l’enfance
Le cinéma et l’art vivant en général, j’adore aller voir des concerts, danser, chanter
Rire, j’adore rigoler, c’est tellement bon !
Travailler toujours sur soi, se connaître mieux, trouver de nouvelles formes de plaisir, de joie, et créer toujours….
Dans ton expérience, as-tu pu toucher du doigt le problème de l’addiction aux écrans, aux technologies numériques en général ?
Jusqu’ici, la question de l’addiction aux écrans n’est pas la demande première.
Il m’est arrivé d’accueillir des parents avec leur enfant, à qui l’un des parents donnait son téléphone portable pour être tranquille et parler en séance. Je pose le cadre très minutieusement afin qu’il se joue autre chose que dans la réalité extérieure, en dehors et aussi pour donner la possibilité de ne pas se cacher derrière son téléphone dans cet espace. Tous ces dispositifs mis en place par la famille parlent de cette famille-là ou de couple-là et de son organisation.
Lorsque je reçois un adolescent, le sujet du téléphone emerge assez vite. D’ailleurs, les adolescents, du moins ceux que j’ai reçu ou que je reçois, sont assez réalistes sur l’usage qu’ils en font. Ils sont au clair sur le fait qu’ils essayent de s’en séparer pour la nuit avec difficulté. Souvent, ils seraient d’accord pour que le parent le lui prenne la nuit. Ils sont assez conscients (sans faire de généralité) de leur difficulté à s’en détacher pour dormir par exemple et risquer « rater » quelque chose. Ce sont des questions qui sont travaillées et souvent en lien avec le sommeil.
De toutes façons, cet espace pour l’analysant est un espace sans téléphone. Un rendez-vous avec soi, en dehors du monde. Ce qui induit que moi-même, je laisse mon téléphone de côté évidemment.
Ton analyse sur la question de cette addiction, quelle est-elle ? Comment savoir si cela en est une, vraiment ?
L’addiction, à mon sens, en est une quand elle amène une rupture des liens sociaux dans la réalité, dans la vie réelle. Quand petit à petit, elle prend beaucoup de place, trop de place.
Décrocher des écrans c’est aussi se laisser aller à autre chose, quelque chose de différent, de ne pas être alimenter par l’extérieur, se risquant à l’intattendu, au vide parfois et au déplaisir. Cela peut être intéressant de se poser des limites. Par exemple lors des repas, d’un week end, des vacances …. pour tester son utilisation du téléphone.
Qu’aurait dit Freud en voyant tant d’humains isolés sur leurs écrans ?
Je ne pense pas pouvoir parler pour Freud ! Mais nous nous accordons pour voir dans l’usage des écrans, et notamment du téléphone portable, un doudou sans fil !
Une façon de fantasmer de ne pas se séparer. Nier la séparation. Pourtant, la séparation (quand elle n’est pas traumatique) fait grandir. Séparation de l’enfant à son parent et du parent à l’enfant. L’écran nous fait croire qu’on est en lien, avec les autres en jeu de réseau, en regardant des vidéos, ou en communiquant …. Or c’est souvent virtuel. C’est lorsque le virtuel est confondu avec le réel que cela deviant préoccupant. Souvent les parents laissent de la liberté à leurs enfants en leur achetant un portable. Pourquoi pas? Mais ce la ne doit pas être la seule chose. Un téléphone ne protège pas de tout !
D’ailleurs les jeunes savent ne pas répondre quand ils ne le veulent pas et heureusement ! La virtualité de la relation laisse alors place à la réalité du lien.
Suivre une Digital Detox, ça consiste en quoi selon toi ?
Se désintoxiquer indique déjà une toxicité ! Cela me fait penser au sevrage.
Prendre du temps pour soi, s’écouter, s’entendre dans ses émotions et s’entendre avec soi même !! Et donc, se faire face…s’apprivoiser, s’accueillir dans sa souffrance, mais aussi dans sa joie ! Accepter de lâcher pour se retrouver soi avec ses émotions et ses sentiments.
Quelle est la population la plus touchée par l’addiction aux écrans selon toi, et pourquoi ?
On pense en général d’abord aux adolescents évidemment, mais les jeunes adultes, et les moins jeunes, les trentenaires, les quarantenaires.
Les adolescents sont une cible assez facile car par définition ils sont dans un processus d’autonomisation et cet outil semble promettre une accélération d’autonomie. Mais le téléphone portable impacte ce processus.
Les jeunes, mais aussi les adultes ….ils sont un exemple dans l’agir … Finalement, tout le monde. On a tous un téléphone qui est un outil de travail, mais aussi un outil personnel. Confondre les deux efface les limites. Comme dans toute dépendance, au départ, on pense contrôler et les premiers usages sont plutôt positifs. Puis, on glisse, on en veut toujours plus, plus vite. Tous, nous avons une bonne raison de regarder notre portable, de répondre …. personne n’y échappe.
Le téléphone peut faciliter les relations lorsqu’elles sont d’abord réelles.
Les parents sont-ils exemplaires ?
Les parents, comme adultes et comme nous tous, sont des êtres imparfaits ! Les enfants apprennent toujours des actes plus que des paroles de leurs parents. Néanmois, souvent lorsque les parents tentent de poser des limites à leurs enfants sur le téléphone, cela les ramène à leur propres usages ! La seule possibilité pour réduire l’usage du téléphone c’est toujours de commencer soi-même.
Ton portable à toi, comment lui fixes-tu des limites ?
Dans la journée, il y a des temps où je ne répondrai pas : en séance, en réunion …
Et puis, lorsque j’enseigne j’éteins mon téléphone et je demande à mes élèves de faire de même. Cette réalité contraignante me plaît. Je vois bien les résistances des élèves « au cas où il y a quelque chose de grave ! » comme si on devait toujours être disponible. Or, c’est important de poser des limites, et d’être disponible pour soi et les autres et difficile à la fois. Je me rends bien compte que les élèves survivent à ces temps de téléphone en mode avion (comme suspendu en l’air !). Je ne manque pas de le leur rappeler d’ailleurs.
Le week end est le moment, pour moi, de réduire mon attention sur le téléphone. Par ailleurs le choix des notifications est important. Nous pouvons choisir pourquoi nous sommes dérangés.
Il ressemble à quoi ?
Un Samsung, modèle un peu ancien, acheté neuf. Je le garderai le plus longtemps possible.
A quel moment apprécies-tu le plus de le lâcher ?
Le matin quand je me rends compte d’avoir oublié d’enlever le mode avion !
Dès que je pars en vacances, en week end, je le laisse dans un tiroir. C’est un vrai plaisir !
Ta recette à toi, pour ta déconnexion personelle ?
Les vacances d’été parce que je fais une grande pause. C’est un régal pour moi de le poser dans un tiroir et de vivre le temps différemment.
Parfois, je l’oublie à un endroit chez moi et ce n’est qu’après un long temps, une après-midi entière, que je me rends compte que je ne l’ai pas. Et à chaque fois, je me dis que c’est bon signe !
Quels sont tes projets à court terme ?
Ecrire, continuer d’accompagner les personnes et continuer à découvrir, accueillir l’inattendu… rire, créer…vivre, rire, accueillir la vie.
La dernière version de notre site sansmonportable.com recense « les trésors », les lieux notamment, hôtels, restaurants, endroits cachés où la deconnexion prend tout son sens. Tu en connais un à nous faire partager ici ?
En soi même, notre intériorité c’est le plus beau voyage, le plus bel endroit.
La nature aide, est propice.
Le lieu de son analyse est un lieu qui devient particulier pour l’analysant, comme un chez soi différent où le temps et le monde reste suspendu à l’extérieur.
Cela me fait penser au film « les neiges du kilimandjaro » de Robert Guédiguian, le cinéma encore…. bon je ne dirai pas la fin, mais elle est magnifique, elle parle du voyage prévu et finalement fait autrement. L’inattendu toujours !
Notre site te permettra aussi de te faire connaître auprès de notre réseau …prêt à ouvrir ton compte, créer ta fiche ?
Oui prête !
Et si nous imaginions un événement ensemble, une action, un Webinaire, une conférence pour développer notre visibilité et nos savoir-faire communs, tu serais partante ?
Un beau projet à venir alors ..
Si par bonheur tu voulais soutenir l’association, pour 1 an, tu trouveras ici pour 15€, le lien te permettant d’apporter ta contribution…
Je le garde précieusement.
Et si on souhaite suivre ton actualité ? Où te retrouver ?
Sur mon site www.doloresfernandez.fr, sur Boulogne Billancourt (9 boulevard Jean Jaurès, 92100), tél 06.61.81.32.88.
A très bientôt chère Dolores, restons en contact !
Boris, merci à toi et à très bientôt !
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